Tshikapa : "Au Kasaï, quand la communication veut étouffer l’information", Tribune de Henri Ntambue


Il se joue aujourd’hui, dans la province du Kasaï, une bataille silencieuse mais déterminante pour l’avenir de la démocratie locale : celle de l’intégrité de l’information. Depuis quelque temps, le métier de journaliste, pourtant essentiel à la vie publique, est fragilisé par des pressions multiples, au point de perdre de sa raison d’être. Dans un environnement où tout se sait mais où tout ne peut plus se dire, la liberté d’informer se trouve mise à l’épreuve comme rarement auparavant.


Journalistes sous pression : la peur de dire, la peur de publier. De nombreux journalistes hésitent désormais à diffuser même leurs propres productions. Non pas par manque de professionnalisme ou d’intérêt pour le débat public, mais par crainte : crainte de déplaire, crainte de perdre des relations familiales, crainte de s’attirer des inimitiés.

Quand informer devient un risque social, le silence gagne peu à peu du terrain. Cette autocensure, discrète mais profonde, prive la population d’un droit fondamental : celui d’accéder à une information libre, plurielle et indépendante.


La confusion entretenue entre communication et information


Le dérèglement actuel trouve sa source dans une confusion, parfois entretenue, entre deux métiers fondamentalement différents : celui du journaliste et celui du communicateur.

Attachés de presse, chargés de communication, conseillers : leur rôle n’a rien d’illégitime. Mais il n’est pas celui de produire des faits, encore moins de les contrôler.

Leur mission est de promouvoir une image, celle d’une institution, d’un individu, d’un projet.

Celle du journaliste est de raconter le réel, tel qu’il est, même lorsqu’il dérange.

Lorsque la communication prétend imposer sa version des faits comme unique vérité, elle quitte son champ d’action pour entrer dans celui de la manipulation.


Le coût de la vérité : insultes, calomnies et tentatives de disqualification


Au Kasaï, ceux qui persistent à informer de manière neutre paient souvent un prix élevé. Ils sont insultés, calomniés, accusés d’arrière-pensées imaginaires.

Le but est clair : dissuader, intimider, faire taire.

La critique devient une offense personnelle ; l’information, un acte d’hostilité.

Dans ce climat, c’est le journaliste qui porte la vérité qui devient l’ennemi, et non plus celui qui la travestit.


Le silence étonnant et inquiétant de la société civile


Cette dérive devrait mobiliser l’ensemble des acteurs de la société civile, des organisations professionnelles et des structures de défense des droits humains. Pourtant, les réactions peinent à se faire entendre.

Face à une presse fragilisée, leurs voix devraient être les premières à s’élever.

Car ce qui est en jeu dépasse largement le sort de quelques journalistes : c’est la capacité collective à débattre, à comprendre, à exiger des comptes.

La liberté de la presse n’est pas un privilège des journalistes : elle appartient à tous.


Quand seule la propagande devient “information”


Une tendance dangereuse s’installe :

Au Kasaï, n’est considérée comme “vraie” que l’information qui met en valeur une autorité ou un individu.

Dès qu’un fait critique est révélé , même rigoureusement vérifié , le porteur de l’information est immédiatement accusé d’hostilité, voire de nuire à la stabilité.

C’est le triomphe de la communication sur le réel, et la mort annoncée du journalisme.


Refuser la mise sous tutelle de la presse


Il est temps de le dire clairement : aucune institution, aucun responsable, aucune personne ne peut mettre la presse “dans sa poche”.

L’information ne peut pas être une propriété privée.

Elle n’existe que parce qu’elle circule, parce qu’elle questionne, parce qu’elle éclaire.


Pour conclure : la vérité n’a pas de maître


La province du Kasaï mérite une presse forte, libre et respectée.

Une presse qui raconte le quotidien, qui expose les réussites, mais aussi les erreurs.

Une presse qui ne se laisse intimider ni par le pouvoir, ni par la rumeur, ni par les pressions familiales ou sociales.


Tant que la communication cherchera à prendre le dessus sur le fait réel, le débat public restera biaisé, et la démocratie locale continuera de s’affaiblir.

Il appartient à chacun, journalistes, citoyens, organisations de défendre l’espace fragile mais vital de la vérité.


Parce qu’au Kasaï comme ailleurs, la liberté d’informer est la première garantie de la liberté de tous.


Henry Ntambwe, journaliste

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